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LA HIÉRARCHIE DES CASTES ET LE SACERDOCE

corps dûment organisé, à une masse inorganique. En réalité, le corps des Brahmanes manque d’unité aussi bien que les autres. C’est faute d’avoir oublié ce trait qu’on a cherché des assimilations décevantes. Par exemple, nous avons vu qu’on avait comparé les Brahmanes aux Jésuites : comme si, enveloppant le monde hindou d’une conspiration permanente, tous les Brahmanes obéissaient, dans l’intérêt de « l’Ordre », à une volonté unique. Mais jamais la caste ou plutôt les castes de Brahmanes n’ont constitué rien qui ressemblât à un Ordre. On ne peut même pas dire qu’ils constituent ce que nous appelons un Clergé. Aucune des formes sociales auxquelles nous a habitués une grande religion organisée et centralisée comme le catholicisme ne se retrouve dans le brahmanisme. Il ne connaît même pas ces rudiments d’organisation que connaissait le druidisme : la nomination d’un grand prêtre, élu ou tiré au sort, et la convocation d’un concile annuel. On ne voit pas non plus les Brahmanes s’agglomérer en « couvents », se réunir pour se soumettre à une même discipline, comme feront les moines bouddhiques. Les Brahmanes sont des prêtres sans Église ; aucun n’a de mandement à écouter, ni de pontife à vénérer ; ils sont égaux par définition, précisément parce que c’est la naissance qui leur confère leur dignité.

Imaginant la réponse d’un Brahmane à ceux qui lui parleraient d’ordination, Burnouf le faisait raisonner ainsi[1] : « C’est le principe masculin qui m’a fait ce que je suis ; mon père était Brahmane, je le suis donc aussi ; je voudrais cesser de l’être que je ne le pourrais, puisque telle est la loi de ma nature, loi qui m’a été imposée, avant ma naissance même, dans le sein d’une mère brahmane où un père brahmane avait déposé le germe d’où je suis venu. Je n’ai nul besoin d’un secours étranger pour être prêtre… Lorsque Manou énonça les lois qui règlent les fonctions

  1. Essai sur le Véda, p. 283-285.