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LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

des castes, n’établit-il pas la supériorité du Brahmane sur les trois autres ordres ? mais il ne dit pas qu’un Brahmane doit être supérieur à un autre ; car, en nous créant de sa bouche, Brahma donna à nous tous pour fonction de composer l’hymne et de célébrer le sacrifice. Nos premiers pères ont transmis à leurs descendants le pouvoir que nous tenons d’eux ; et comme la génération d’un Brahmane est en tout semblable à celle d’un autre Brahmane, nous ne saurions comprendre qu’un prêtre puisse commander à un autre prêtre et lui imposer une foi dont il n’est ni le premier auteur, ni l’unique interprète. » Le système des castes, en répartissant les hommes d’après leur naissance, pose en principe l’égalité des Brahmanes ; il est naturellement incompatible avec la constitution hiérarchique d’un clergé. Ce n’est donc pas la puissance de leur organisation qui fait la force des prêtres de l’Inde.

Leur viendrait-elle, alors, de la précision et de la rigueur des idées dont ils sont les dépositaires ? Puisqu’elle ne s’expliquerait pas par leur discipline, s’expliquerait-elle par leur dogmatisme ? La chose est peu vraisemblable, pour qui pressent quels rapports étroits unissent la dogmatique des religions à l’organisation sociale. « Là où il n’y a pas de hiérarchie, dit Zeller[1], toute dogmatique, considérée comme règle générale de foi, est d’avance impossible, car il n’y a pas d’organe pour la formuler et la soutenir. » Là où il ne s’est pas formé pour la vie religieuse une société unifiée, là où ne se rencontrent ni clergé, ni congrégations, ni conciles, il serait étonnant que les croyances fussent systématiquement coordonnées, fixées à jamais, ne varietur. L’indépendance des doctrines, disait encore Burnouf[2], est un résultat naturel du système des castes. En fait, c’est la souplesse du brahmanisme qui est remarquable, bien plutôt que sa rigidité.

  1. Philos. des Grecs, trad. fr., I, p. 54.
  2. Ibidem, p. 382.