Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/60

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parents n’avaient pas quitté la rue Saint-Honore depuis trois générations, et d’Adolphe Lussac, le préfet de l’Empire, venu d’Auvergne à la suite de M. Rouher. La chronique des clubs aurait répondu à cette question en rappelant le passage à Paris, vers les environs de 1855, du beau comte Branciforte, ses yeux d’un gris verdâtre, sa pâleur mate, son assiduité auprès de Mme Lussac et sa disparition soudaine hors d’un milieu où, pendant des mois et des mois, il avait été toujours présent. Mais ces renseignements-là, Hubert ne devait jamais les avoir. Il appartenait, de par son éducation et de par sa nature, à la lignée de ceux qui acceptent les données officielles de la vie et qui en ignorent les causes profondes, l’animalité foncière, la tragique doublure, — race heureuse, car à elle appartient la jouissance de la fleur des choses ; race vouée d’avance aux catastrophes, car, seule, la vue nette du réel permet de manier un peu le réel. Non ; ce qu’Hubert Liauran se rappelait de cette première entrevue, ce n’était pas des réflexions sur la singularité du charme de Mme de Sauve. Il ne s’était pas davantage interrogé sur la nuance de caractère que pouvaient indiquer les mouvements de cette femme. Au lieu d’étudier ce visage, il en avait joui, comme un enfant goûte la fraîcheur