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toutes les substances simples, ou Monades créées, car elles ont en elles une certaine perfection (ἒχουσι τὸἐντελές), il y a une suffisance (αὐτάρκεια)[1] qui les rend sources de leurs actions internes et pour ainsi dire des Automates incorporels[2] (§ 87).

19. Si nous voulons appeler Âme tout ce qui a perceptions et appétits dans le sens général, que je viens d’expliquer ; toutes les substances simples ou Monades créées pourraient être appelées Âmes ; mais, comme le sentiment est quelque chose de plus qu’une simple perception, je consens que le nom général de Monades et d’Entéléchies suffise aux substances simples qui n’au-

    d’enveloppement, une telle multiplicité, tend d’elle-même à se réaliser, à se déployer, à passer par tous les états qu’elle comporte ; et c’est à cette tendance (ou suffisance) que pense Leibnitz, quand il appelle sa monade entéléchie. On voit que, tandis que chez Aristote l’entéléchie est le terme de l’action, l’opposé exact de la δύναμις ou ῦλη, chez Leibnitz elle est caractérisée par la tendance proprement dite, que ce philosophe intercale, comme sa découverte propre, entre la puissance et l’acte aristotéliciens (Voy. sup., p. 91).

  1. Leibnitz avait d’abord écrit : Elles ont en elles cette perfection ou αὐτάρκεια qui les rend, etc., identifiant ainsi perfection et suffisance.
  2. Automate, de αὐτος, soi-même, et, μάω, se précipiter, désigne un être ayant en soi le principe de son mouvement. Chez Aristote, la locution ἀπο τοῦ αὐτομάτον signifie : par hasard. Elle désigne la forme la plus imparfaite du mouvement. C’est que la spontanéité, distinguée de la raison, n’a aucun prix aux yeux des anciens. Leibnitz, de son côté, n’a garde, sans doute, de la considérer comme indépendante de la raison il en fait au contraire l’attribut de la raison elle-même. Mais il admet, en ce sens, des spontanéités individuelles et, ayant ainsi réconcilié l’automatisme avec l’intelligence, il en fait une perfection. Il y a plus : dans sa philosophie il n’y a en somme que l’être incorporel qui mérite véritablement le nom d’automate. L’automatisme d’un être matériel ne saurait être qu’une apparence illusoire, puisque toute matière est mécanisme, et que tout mécanisme est poussée extérieure. Et ainsi le mot « automate » ne saurait avoir pour Leibnitz qu’un sens métaphorique. L’action que l’automate leibnitien accomplit spontanément n’est pas un mouvement physique, c’est une perception.