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ront que cela ; et qu’on appelle Âmes seulement celles dont la perception est plus distincte et accompagnée de mémoire.

20. Car nous expérimentons en nous-mêmes un état, où nous ne nous souvenons de rien et n’avons aucune perception distinguée ; comme lorsque nous tombons en défaillance, ou quand nous sommes accablés d’un profond sommeil sans aucun songe. Dans cet état l’âme ne diffère point sensiblement d’une simple Monade[1] ; mais comme cet état n’est point durable, et

  1. Leibnitz a-t-il voulu parler de perceptions absolument inconscientes, ou simplement de perceptions à peine conscientes ? C’est là une question que plusieurs se sont posée à propos de cette doctrine. On sait que Maine de Biran a soutenu, de son côté, que les sensations sont en dehors du moi. Sur le sens de la doctrine de Maine de Biran il n’y a pas de doute possible. La conscience, selon lui, suppose l’effort, la dualité du moi et du non-moi. Or dans la sensation, phénomène où l’âme est toute passive, point d’effort, point de dualité. La sensation doit donc être absolument inconsciente. En était-il de même chez Leibnitz ? M. Colsenet, dans ses Études sur la vie inconsciente de l’esprit. Introduction, soutient l’affirmative. Selon lui (p. 12), Leibnitz a professé que « la conscience s’ajoute à la perception comme une qualité nouvelle. » Mais est-il légitime de chercher dans Leibnitz la réponse catégorique à une telle question ? Sans doute, Leibnitz considère la conscience individuelle comme conditionnée, non comme irréductible. Mais il n’a aucune raison analogue à celles de Maine de Biran pour établir une solution de continuité entre l’inconscience et la conscience. Tout au contraire, son principe de continuité s’applique nécessairement ici comme partout. Entre l’inconscient et le conscient il n’y a que la différence de la perception confuse et de la perception distincte, ou, plus exactement, de la perception relativement confuse à la perception relativement distincte. C’est par une transition insensible qu’on s’élève de l’une à l’autre. Ainsi il est très vrai que, pour Leibnitz, les plantes, encore qu’elles aient des perceptions, ne pensent pas à ce qui s’appelle moi, tandis que les hommes y pensent ; mais ce qui existe dans l’homme ne diffère pas radicalement de ce qui existe dans les plantes. C’est la perception du même univers, plus étendue seulement et plus distincte. Entre les attributs que notre grossier langage représente comme des contraires, Leibnitz ne peut voir qu’une différence de degrés, de moments de développement (Voy. sup., p. 62).