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nité de petites inclinations et dispositions de mon âme, présentes et passées, qui entrent dans la cause finale[1].

37. Et comme tout ce détail n’enveloppe que d’autres contingents antérieurs ou plus détaillés, dont chacun a encore besoin d’une analyse semblable pour en rendre raison, on n’en est pas plus avancé : et il faut que la raison suffisante ou dernière soit hors de la suite ou séries de ce détail des contingences, quelqu’infini qu’il pourrait être[2].

38. Et c’est ainsi que la dernière raison des choses doit être dans une substance nécessaire, dans laquelle le détail des changements ne soit qu’éminemment[3], comme

  1. La raison suffisante paraît subdivisée ici en cause efficiente et cause finale, incapables d’ailleurs, l’une comme l’autre, de constituer la raison suffisante dernière et véritable. Ailleurs la cause efficiente est rapprochée du mécanisme, lequel, à son tour, est rapproché de la géométrie et du principe de contradiction. Et toutes les fois que les causes efficientes et les causes finales sont comparées entre elles, les causes efficientes sont données comme dépendant des causes finales.
  2. C’est ainsi qu’Aristote avait établi son premier moteur immobile en dehors et au-dessus du temps, semblable à un génie placé, non à la source, mais sur la rive d’un fleuve, et dont la présence suffirait à faire couler l’eau. Cette doctrine est dominée par le principe aristotélicien : ἀνάγκη στῆναι : il faut un terme à la régression dans la recherche des conditions de l’existence, principe dont Kant contestera la légitimité au nom de la loi de causalité elle-même, que, selon lui, ce principe renverse sous prétexte de l’observer (Voy. Crit de la R. pure, Barni, t. II, p. 194. Voy. sup., p. 78).
  3. Éminemment s’oppose à formellement. « Les choses, dit Descartes (Rép. aux Sec. object.), sont dites être formellement dans les objets des idées quand elles sont en eux telles que nous les concevons et elles sont dites y être éminemment, quand elles n’y sont pas à la vérité telles, mais qu’elles sont si grandes, qu’elles peuvent suppléer à ce défaut par leur excellence. » Ces expressions viennent des Scolastiques. Saint Thomas disait (S. Th., I, q. IV, a. § c) : « Tout ce qu’il y a de perfection dans l’effet doit se trouver dans la cause, suivant la même raison, s’il s’agit d’un agent univoque (ainsi l’homme engendre l’homme), on d’une manière plus éminente, c’est-à-dire excellente, s’il est question d’un agent équivoque. » On peut rapprocher de cette acception du mot éminent la formule féodale du domaine direct ou éminent qui appartenait au seigneur et qui donnait droit à l’hommage où à une redevance, par opposition à la possession conditionnelle qui était le propre du vassal.