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est la région des vérités éternelles, ou des idées dont elles dépendent, et que sans lui il n’y aurait rien de réel dans les possibilités, et non seulement rien d’existant, mais encore rien de possible[1] (§ 20).

44. Car il faut bien que s’il y a une réalité dans les essences on possibilités, ou bien dans les vérités éternelles[2], cette réalité soit fondée en quelque chose d’existant et d’actuel ; et par conséquent dans l’exis-

  1. Il ne faudrait pas conclure de là que Dieu peut quelque chose sur la nature des possibles. La nature des possibles est exclusivement déterminée par le principe de contradiction, lequel est investi d’une nécessité absolue. Les possibles dépendent de Dieu en ce sens que c’est l’essence même de Dieu qu’ils expriment, chacun à sa manière, chacun dans les limites qui lui sont propres. L’infinie variété d’aspects que comporte l’essence de Dieu considérée de tel ou tel point de vue particulier, tel est le contenu des possibles. Ces essences dérivées, en nombre infini, résident de toute éternité dans l’entendement divin dont elles sont l’objet ; et la volonté divine n’intervient que pour susciter le développement des unes, de préférence aux autres (Voy. sup., p. 85 seqq.).
  2. Essences, possibilités, vérités éternelles : ces trois termes, chez Leibnitz, sont très voisins les uns des autres. Déjà Descartes avait établi un lien étroit entre les essences et les vérités éternelles. Celles-ci étaient les principes qui gouvernaient celles-là mais pour lui les essences n’étaient autre chose que le fond même des choses sensibles, tel qu’il peut être connu avec évidence par l’entendement ; elles étaient la vérité complète, sinon pour Dieu qui les a instituées et les domine, du moins pour l’homme qui, quand il les possède, possède tout ce qu’il y a d’intelligible et de substantiel dans les choses. Leibnitz maintient la relation établie par Descartes entre les essences et les vérités éternelles, de telle sorte que, comme Descartes, il peut dire à peu près indifféremment les essences, ou : les vérités éternelles. Mais il nie la coïncidence que Descartes avait admise entre les essences et les existences. Pour lui, les essences ne sont que les possibles ; et ceux-ci, loin de se confondre avec les existences, les débordent infiniment. Ils sont en nombre infini, et infiniment divers, n’étant astreints à nulle autre règle, sinon à ne se point détruire eux-mêmes par une contradiction. Mais tous ne peuvent également être réalisés, parce que, s’ils l’étaient, le monde serait un chaos indéchiffrable. Ceux-là seuls ont été réalisés par la sagesse divine, qui étaient compatibles entre eux, compossibles, comme dit Leibnitz.