Page:Boutroux - La Monadologie.djvu/185

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vement fait quelque effet sur les corps distants, à mesure de la distance, de sorte que chaque corps est affecté non seulement par ceux qui le touchent, et se ressent en quelque façon de tout ce qui leur arrive, mais aussi par leur moyen se ressent de ceux qui touchent les premiers, dont il est touché immédiatement : il s’ensuit, que cette communication va à quelque distance que ce soit. Et par conséquent tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans l’univers ; tellement que celui qui voit tout, pourrait lire dans chacun ce qui se fait partout et même ce qui s’est fait ou se fera ; en remarquant dans le présent ce qui est éloigné, tant selon les temps, que selon les lieux : σύμπνοια[1] πάντα, disait Hippocrate. Mais une Âme ne peut lire en elle-même que ce qui y est représenté distinctement, elle ne saurait développer tout d’un coup tous ses replis, car ils vont à l’infini.

62. Ainsi quoique chaque monade créée représente tout l’univers, elle représente plus distinctement le corps qui lui est affecté particulièrement et dont elle fait l’Entéléchie[2] : et comme ce corps exprime tout l’univers par la connexion de toute la matière dans le

  1. Les manuscrits donnent ainsi σύμπνοια, écrit de la main même de Leibnitz, au lieu de σύμπνοα seule forme que l’on trouve dans le Thesaurus. La même citation d’Hippocrate se retrouve dans l’Avant-propos des Nouveaux Essais, éd. Erdm., p. 197, b, ainsi traduite par Leibnitz « tout est conspirant ».
  2. Lorsqu’Aristote définit l’âme ἐντελέχεια ἡ πρώτη σώματος φυσικοῦ ξωὴν ἒχοντος δυνάμειμ τοιοῦτον δὲμ ἃν ἢ όργανικόν (De An., II, 1, 412, b, 4), il entend, nous dit-il, par l’entéléchie, non l’acte ou achèvement de la puissance, analogue à l’acte de θεωρεῖν, mais la force’ qui commence l’action, analogue à l’ἐπιστήμη, opposée à la θεωρία. L’âme donne la première impulsion à un corps organique, c’est-à-dire dont les parties sont disposées de manière à concourir à un but. Chez Leibnitz, l’âme est l’entéléchie de son corps, en ce sens qu’elle possède, à un degré de perfection,(c’est-à-dire de distinction) relative, les perceptions mêmes qui dans le corps existent à l’état confus, et qu’ainsi elle peut servir à rendre raison de ce qui se passe dans le corps.