Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 2.djvu/64

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même ; mais il l’est pour faciliter le salut des hommes, & non pour les perdre. Heureux sont ceux à qui Dieu l’a révélé. Mais c’est une impiété, selon moi, de dire qu’il ait créé les autres hommes pour être damnés. [1]

Je ne comprends pas pourquoi on doit croire aujourd’hui ce qu’on ne croioit pas dans les premiers siécles de l’église, & ce qu’on condamnoit encore il y a deux & trois cens ans. Est-ce que les théologiens font la même chose que les médecins dans Molière ? Autrefois, leur fait-il dire, le cœur & la rate étoient du côté gauche. A présent tout cela a été mis au côté droit.

Ils ont plus de peine à parvenir jusqu’au ciel ; mais s’ils sont bons, sages & vertueux, le tout-puissant feroit plutôt un miracle pour les attirer à lui, que de permettre

  1. Je ne comprend, pas par quelle raison les théologiens catholiques d’aujourd’hui s’obstinent à vouloir damner tous ceux qu’ils regardent comme hors de l’église, lorsque plusieurs peres ont décidé en termes nets & précis, que les payens qui avoient été vertueux, avoient pû faire leur salut ; n’ayant pû avoir aucune connoissance, ou du moins qu’une très-confuse de la loi de Moyse. Or je voudrois qu’on me dît quelque raison valable, pour me persuader que la divinité veuille perdre des hommes qui n’ont jamais eu aucune notion, ou du moins qui n’en ont eu que de très-foibles du christianisme, quand elle a pardonné à ceux qui n’ont pû être instruits du judaïsme. L’église, me répondra un théologien, l’a ainsi décidé ; & nous devons nous soumettre à son jugement. Mais cette église dont on vante si fort l’infaillibilité, devoit apparemment penser d’une autre manière du tems de S. Bernard qu’elle ne fait actuellement : car ce pere, écrivant à Hugues de S. Victor, lui dit qu’il ne sçauroit croire que le commandement de Dieu prononcé à Nicodème : Nisi quis renatus fuerit ex aquâ, & spiritu sancto, non intrabit in regnum coelorum, doive être pris dans toute son étendue, & qu’il faille l’appliquer à ceux qui n’en ont eu aucune connoissance ; les juifs, les autres peuples, tous les payens vertueux avant la venue de Jésus-Christ, ayant été purgés du péché originel, & pouvant se sauver en vivant selon la loi naturelle. At verò, quis nescit, & alia, praeter baptismum, contra originale peccatum, remedia antiquis non defuisse temporibus ? Abrahae quidem, & semini ejus is, circumcisionis sacramentum in hoc ipsum traditum est. In natio nibus verò, quotquot inventi fideles sunt, adultos quidem fide & sacrificiis credimus expiatos, parvulis autem solùm profuisse, imò & fuffecisse, parentum fidem. D. Bernard Epist. LXXII, ad Magistr. Hugonem sancto Victore. S. Thomas soutient que les Gentils ont pû se sauver, quoique moins sûrement & avec plus de peine que les Juifs. Gentiles perfectius & securius salutem consequebantur sub observantiis legis, quàm sub solâ lege naturali, & ideò ad eas admittebantur ; sicut etiam nunc laïci transeunt ad Clericatum, & seculares ad religionem, quamvis absque hoc possint salvari. Thomae summa, prim. secund. quoest. 98, art. 5. Un des plus grands théologiens qui vivoit peu de tems avant le concile de Trente, a soutenu que les anciens payens, & ceux d’aujourd’hui, pouvoient être sauvés en vivant justement, lorsqu’ils étoient dans une ignorance invincible. Quicumque fuerunt, aut etiam modo sunt, ad quos non pervenerit evangelium, cum nullâ viâ humanâ consequi potuerint fidem Christi, tandiu inculpabilem illius ignorantiam habere, vel etiam habuisse sunt existimandi, quandiu caruerint doctoribus à quibus discere potuerint. Andreas Vega de praeparatione adultorum ad justificationem. Lib.VI.cap.XVIII. Il est bon de remarquer ici que les premiers peres de l’église ont parlé aussi affirmativement sur le salut des anciens payens qui ont été vertueux, que les théologiens & les peres des derniers siécles. S. Justin, martyr, dans sa seconde apologie, pag. 83. dit qu’il regarde Socrate & Héraclite, comme ayant été chrétiens, & les met en parallèle avec Abraham, Ananias, Azarias, Misaël, Elie. Je ne prête rien à ce pere, voici ses propres termes :  : Et quicumque cum ratione ac verbo vixere chi christiani sunt, quamvis athei & nullius numinis cultores habiti sunt, & quales inter Graecos fuere Socrates, Heraclitus, atque iis similes : inter barbaros autem Abraham, & Ananias & Azarias & Misaël & Elias, & alii complures. S. Clément d’Alexandrie n’est pas moins précis sur le salut des payens vertueux ; il répéte dans vingt endroits différens, qu’avant la venue du seigneur, les Grecs ont été justifiés par la philosophie. Kath éautên édikaiou potéki philosophia tous.Enênas.* Clément Alex. lib. I. Strom……
    • (Voir note en tête de la table des matières au sujet de la translittération du texte grec de l’ouvrage original).