Page:Breton - La Vie d’un artiste, 1890.djvu/327

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LA VI E D U N ARTISTE ^11 puis s’écoule et va disparaître derrière les hauts ro- chers, au pied du Menez-C’hom. Mais quel que soit le caractère de la foule qui se presse autour de Sainte-Anne de la Palud, son champ d’évolution est si vaste, que fatalement l’intérêt parti- culier se perd dans l’immense ensemble. L’imagination en est plus frappée que le cœur. A Kerghoat, au contraire, une impression profonde vous saisit tout entier. C’est ce que je ressentis la première fois que j’y assistai. C’était à peu près le même monde qu’à Sainte-Anne, sauf Plougastel et quelques paroisses trop lointaines. L’église de granit gris, sur un fond de verdure sombre, près d’un bois de chênes, était, comme c’est l’usage aux pardons, entourée d’un triple cordon de cire, offrande des paroisses voisines. L’enclos bosselé de tombes où s’élèvent quelques croix de fer rouillé, se couvre de cette herbe vive et grasse des cimetières. Au milieu, un calvaire monumental. De frustes saints de pierre y accompagnent le crucifié, types dont la pieuse difformité éveille des rêves mystiques et qui offraient des traits de ressem- blance avec les fidèles assis sur les marches du pié- destal. L’enclos était plein de monde. L’aveugle de Ploaré gisait étendu sur l’herbe, ivre, abruti. D’autres mendiants emphatiques psalmodiaient vers l’abside, dans le silence où priait la foule pro- sternée. J’ai dit les différents types de cette foule, j’en ai décrit les beautés, les laideurs expressives, les diffor- mités étranges et presque démoniaques, et les pâles adolescentes, fleurs d’extase aux yeux brûlants de fièvre, au front de cire qui semble saigner sous le