Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/14

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jetant un cri. Je ne le fis pourtant point assez promptement. Le volume vola dans l’air, je me sentis atteinte à la tête et blessée. La coupure saigna ; je souffrais beaucoup ; ma terreur avait cessé pour faire place à d’autres sentiments.

« Vous êtes un méchant, un misérable, m’écriai-je ; un assassin, un empereur romain. »

Je venais justement de lire l’histoire de Rome par Goldsmith, et je m’étais fait une opinion sur Néron, Caligula et leurs successeurs.

— Comment, comment ! s’écria-t-il, est-ce bien à moi qu’elle a dit cela ? vous l’avez entendue, Éliza, Georgiana. Je vais le rapporter à maman, mais avant tout… »

En disant ces mots, il se précipita sur moi ; il me saisit par les cheveux et les épaules. Je sentais de petites gouttes de sang descendre le long de ma tête et tomber dans mon cou, ma crainte s’était changée en rage ; je ne puis dire au juste ce que je fis de mes mains, mais j’entendis John m’insulter et crier. Du secours arriva bientôt. Éliza et sa sœur étaient allées chercher leur mère, elle entra pendant la scène ; sa bonne, Mlle Abbot et Bessie l’accompagnaient. On nous sépara et j’entendis quelqu’un prononcer ces mots :

« Mon Dieu ! quelle fureur ! frapper M. John !

— Emmenez-la, dit Mme Reed aux personnes qui la suivaient. Emmenez-la dans la chambre rouge et qu’on l’y enferme. »

Quatre mains se posèrent immédiatement sur moi, et je fus emportée.




CHAPITRE II.


Je résistai tout le long du chemin, chose nouvelle et qui augmenta singulièrement la mauvaise opinion qu’avaient de moi Bessie et Abbot. Il est vrai que je n’étais plus moi-même, ou plutôt, comme les Français le diraient, j’étais hors de moi ; je savais que, pour un moment de révolte, d’étranges punitions allaient m’être infligées, et, comme tous les esclaves rebelles, j’étais résolue, dans mon désespoir, à pousser ces choses jusqu’au bout.

« Mademoiselle Abbot, tenez son bras, dit Bessie ; elle est comme un chat enragé.

— Quelle honte ! quelle honte ! continua la femme de chambre, oui, elle est semblable à un chat enragé ! Quelle scandaleuse