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— Comment ! vous partez !

— J’ai froid, monsieur.

— C’est vrai, et vous êtes là dans l’eau ; allez, Jane, allez ! »

Mais il tenait toujours ma main, et je ne pouvais partir. Je pris un expédient.

« Il me semble, monsieur, dis-je, que j’entends remuer Mme Fairfax.

— Alors, quittez-moi. » Il lâcha ma main et je partis.

Je regagnai mon lit, mais sans songer à dormir. Le matin arriva au moment où je me sentais emportée sur une mer houleuse dont les vagues troublées se mélangeaient aux ondes joyeuses ; il me semblait voir au delà de ces eaux furieuses un rivage doux comme les montagnes de Beulah. De temps en temps une brise rafraîchissante éveillée par l’espoir me soutenait et me menait triomphalement au but ; mais je ne pouvais pas l’atteindre, même en imagination. Un vent contraire m’écartait de la terre et me repoussait au milieu des vagues. En vain mon bon sens voulait résister à mon délire, ma sagesse à ma passion ; trop fiévreuse pour m’endormir, je me levai aussitôt que je vis poindre le jour.




CHAPITRE XVI.


Le jour qui suivit cette terrible nuit, j’avais à la fois crainte et désir de voir M. Rochester ; j’avais besoin d’entendre sa voix, et je craignais son regard. Au commencement de la matinée, j’attendais de moment en moment son arrivée. Il n’entrait pas souvent dans la salle d’étude, mais il y venait pourtant quelquefois, et je pressentais qu’il y ferait une visite ce jour-là.

Mais la matinée se passa comme de coutume ; rien ne vint interrompre les tranquilles études d’Adèle. Après le déjeuner, j’entendis du bruit du côté de la chambre de M. Rochester ; on distinguait les voix de Mme Fairfax, de Leah, de la cuisinière, et l’accent brusque de John. « Quelle bénédiction, criait-on, que notre maître n’ait pas été brûlé dans son lit ! C’est toujours dangereux de garder une chandelle allumée pendant la nuit. Quel bonheur qu’il ait pensé à son pot à l’eau ! Pourquoi n’a-t-il éveillé personne ? Pourvu qu’il n’ait pas pris froid en dormant dans la bibliothèque ! »