Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/622

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Il me fit ensuite traverser la pelouse pour voir sa taupière, puis passer dans le bûcher pour voir ses pièges à belettes, dont l’un, à sa grande joie, contenait une belette morte ; puis à l’écurie pour voir, non les beaux chevaux, mais un petit poulain assez laid qu’il me dit avoir été élevé pour lui, et qu’il devait monter aussitôt qu’il serait convenablement dressé. Je m’efforçais d’amuser mon petit compagnon, et j’écoutais son babillage avec autant de complaisance que possible : car je pensais que, s’il était susceptible d’affection, il me fallait d’abord le gagner, et que plus tard je pourrais lui faire voir ses erreurs ; mais je cherchais en vain en lui ce généreux et noble cœur dont parlait sa mère, bien que je pusse remarquer qu’il n’était pas sans un certain degré de vivacité et de pénétration.

Lorsque nous rentrâmes à la maison, il était presque l’heure de prendre le thé. M. Tom me dit que, son papa étant sorti, lui et moi et Mary-Anne aurions l’honneur de prendre le thé avec leur mère : car dans de telles occasions, elle dînait toujours avec eux, à l’heure du goûter, au lieu de six heures. Aussitôt après le thé, Mary-Anne alla se coucher, mais Tom nous favorisa de sa compagnie et de sa conversation jusqu’à huit heures. Après qu’il fut parti, mistress Bloomfield revint de nouveau sur les dispositions et les qualités de ses enfants, sur ce qu’il faudrait leur faire apprendre, comment il fallait les gouverner, et m’engagea à ne parler de leurs défauts qu’à elle seule. Ma mère m’avait averti déjà de les lui mentionner le moins possible, car les mères n’aiment point à entendre parler des défauts de leurs enfants, et je résolus de n’en rien dire même à elle. Vers neuf heures et demie, mistress Bloomfield m’invita à partager un frugal souper composé de viande froide et de pain. Ce fut avec plaisir que je la vis ensuite prendre son flambeau pour aller se coucher : car, quoique j’eusse désiré trouver du plaisir auprès d’elle, sa compagnie m’était extrêmement désagréable, et je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle était froide, grave, rebutante, tout l’opposé de la matrone bienveillante et au cœur aimant que j’avais rêvée.