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peuple de l’église qu’il s’agissait de pourvoir d’un premier pasteur ; soit, comme le disent d’autres historiens, qu’une partie du clergé rennais se soit évertué à multiplier les obstacles pour empêcher l’accès d’un étranger dont l’austérité égalait la douceur, et dont il n’avait à attendre aucune faiblesse ; toujours est-il que trois années s’écoulèrent entre la mort de Sylvestre et l’intronisation de Marbode, qui ne fut sacré qu’au mois de février 1096, par le pape Urbain II lui-même, au milieu du concile de Tours.

L’élection de Marbode à l’évêché de Rennes eût été impossible quelques années plus tôt ; alors l’Anjou et la Bretagne étaient en guerre continuelle. Alors, Marbode était amené, par les passions générales de son pays, à écrire de sa main, et contre ses futures ouailles, cette chanson sanglante et bizarre, qui a en le singulier privilège de rester la plus populaire comme la plus médiocre de ses, poésies, et qui est trop souvent offerte comme un spécimen assez peu flatteur de son talent. Mais, en 1092, la paix s’était faite entre les deux nations par le mariage de la bienheureuse Ermengarde, fille de Foulques, avec Alain Fergent, et c’est manifestement par l’influence de cette princesse, pieuse, sage, lettrée, l’amie de Robert d’Arbrissel et de saint Bernard, que Marbode fut élevé sur le siégé de Rennes.

Ce fut, certes, par des motifs de foi et de soumission que Marbode accepta ce poste, et non par des motifs d’ambition personnelle et toute humaine. Il était jeté au milieu d’un pays qu’un autre prélat angevin, son contemporain, lettré comme lui, Baldric, évêque de Dol, n’hésitait pas[1] à qualifier de « nid de scorpions et de repaire de bêtes doublement féroces. » Et de fait, la Bretagne était en retard de se lever au réveil de la civilisation dont Grégoire VII avait donné le

  1. Préface de la Vie de Robert d’Arbrissel.