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DU BUDDHISME INDIEN.

gnage de ce texte est à mes yeux décisif, et je n’hésite pas à croire que le système exposé tout à l’heure peut exister aussi bien avec la conception de la Nature qu’avec celle de Dieu, surtout quand on donne à la première une partie des attributs qu’on reconnaît à l’autre. Le Lotus de la bonne loi fournit, en faveur de cette opinion, plus d’un argument d’un grand poids. Il faut d’abord admettre que c’est un livre qui ne contient rien que ne puisse avouer l’école naturaliste telle que nous la représentent les extraits et les analyses de M. Hodgson[1]. On n’y trouve pas la moindre trace de l’idée de Dieu, ni d’un Buddha quelconque supérieur au dernier des Buddhas humains, à Çâkyamuni. Là, comme dans les Sûtras simples, c’est Çâkya qui est le plus important, le premier des êtres ; et quoique l’imagination du compilateur l’ait doué de toutes les perfections de science et de vertu admises chez les Buddhistes ; quoique Çâkya révèle déjà un caractère mythologique, quand il déclare qu’il y a longtems qu’il remplit les devoirs d’un Buddha, et qu’il doit les remplir longtemps encore, malgré sa mort prochaine, laquelle ne détruit pas son éternité ; quoiqu’enfin on le représente créant de son corps les Buddhas qui sont comme les images et les reproductions idéales de sa personne mortelle, nulle part Çâkyamuni n’est nommé Dieu ; nulle part il ne reçoit le titre d’Âdibuddha ; nulle part ses œuvres et ses actes d’héroïsme, ainsi qu’on les appelle, n’offrent le moindre rapport avec ces évolutions par lesquelles, suivant l’école théiste, les cinq Buddhas nommés Dhyâni sortent d’un Buddha éternel et absolu.

Eh bien, ce livre où l’idée de Dieu, et pour parler comme les Buddhistes du Népâl, l’idée d’un Âdibuddha est si inconnue[2], offre des traces manifestes du

    appartient à un monde distinct comme elle. La première nature est celle de l’abstraction, de l’état absolu, de l’être en soi ; elle n’existe telle que dans le premier monde, dans celui du vide : c’est Buddha dans le Nirvâṇa. La seconde nature est la manifestation du Buddha au sein de la puissance et de la sainteté ; elle paraît dans le second monde : c’est le Dhyâni Buddha. La troisième est sa manifestation sous une forme humaine ; elle paraît dans le troisième monde : c’est le Mânuchi Buddha. De cette manière le Buddha appartient à la fois aux trois mondes, car il est essentiellement illimité. M. Schmidt appuie cette théorie d’un passage remarquable du Suvarṇa prabhâsa, dont je ne possède malheureusement pas le texte, mais qui doit, je n’en doute pas, avoir été composé primitivement en sanscrit. Je n’ai jusqu’ici rencontré, dans les livres qui sont à ma disposition, aucun texte qui ait un rapport direct à cette doctrine, sur laquelle je reviendrai quand je parlerai des Buddhas antérieurs à Çâkya. Je puis cependant déjà dire que c’est, selon moi, aller un peu loin, que de présenter cette théorie comme l’expression du Buddhisme pur et comme propre à toutes les écoles, excepté celle du Népâl. Je ne crains pas d’avancer qu’elle est inconnue, ainsi que les Buddhas dont elle s’occupe, aux Buddhistes de Ceylan, et à la forme la plus ancienne du Buddhisme septentrional.

  1. Quot. from orig. Sanscr. Author., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 71 sqq.
  2. M. Schmidt nous apprend, dans plus d’un passage de ses Mémoires, qu’il en faut dire autant des livres mongols, où l’existence des cinq Buddhas surhumains est fréquemment