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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


le plus évidemment que le Buddhisme et le Brâhmanisme ont une origine commune, en d’autres termes que la doctrine de Çâkya est née au milieu d’une société dont le principe politique était la distinction des castes. Mais comment ce principe s’est-il concilié avec l’esprit de la doctrine du Buddha, c’est-à-dire quelle concession l’un a-t-il faite à l’autre ? Voici comment doivent s’être passées les choses, à en juger du moins par les effets. Le sacerdoce a cessé d’être héréditaire, et le monopole des choses religieuses est sorti des mains d’une caste privilégiée. Le corps chargé d’enseigner la loi a cessé de se perpétuer par la naissance ; il a été remplacé par une assemblée de Religieux voués au célibat, qui se recrute indistinctement dans toutes les classes. Le Religieux buddhiste, enfin, qui tient tout de l’enseignement et d’une sorte d’investiture, a remplacé le Brâhmane, qui ne devait rien qu’à la naissance, c’est-à-dire à la noblesse de son origine. Voilà sans contredit un changement fondamental, et c’en est assez pour expliquer l’opposition que les Brâhmanes ont faite à la propagation et à l’application des principes du Buddhisme. C’est qu’en effet les Brâhmanes disparaissaient dans le nouvel ordre de choses créé par Çâkya. Du moment que la naissance ne suffisait plus pour les placer au-dessus des autres castes, du moment que, pour exercer une action religieuse sur le peuple, il leur fallait se soumettre à un noviciat, recevoir une investiture qui ne leur donnait pas plus de droits qu’au dernier des esclaves, et se placer dans une hiérarchie fondée sur l’âge et le savoir, à côté des hommes les plus méprisés, les Brâhmanes n’existaient plus de fait. Au contraire, l’existence des autres castes n’était nullement compromise par le Buddhisme. Fondées sur une division du travail, que perpétuait la naissance, elles pouvaient subsister sous la protection du sacerdoce buddhique, auquel elles fournissaient toutes indistinctement des Religieux ei des ascètes. Autant les Brâhmanes devaient ressentir d’aversion pour la doctrine de Çâkya, autant les hommes des classes inférieures devaient l’accueillir avec empressement et faveur ; car si cette doctrine abaissait les premiers, elle relevait les seconds, et elle assurait dès cette vie au pauvre et à l’esclave ce que le Brâhmanisme ne lui promettait même pas pour l’autre, l’avantage de se voir, sous le rapport religieux, l’égal de son maître.

Les observations précédentes expliquent suffisamment le fait remarquable de la coexistence des castes indiennes et du Buddhisme sur le sol de Ceylan. Il n’est pas besoin de supposer, comme l’a fait l’illustre G. de Humboldt, que la distinction des castes a exercé sur le caractère des Singhalais une action moins profonde que sur celui des Indiens du continent[1] ; car on ne manquerait

  1. Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 87.