Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/15

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dans leurs cris d’effroi à la perspective de la guerre, que le cri de la simple peur physique et que cet amour sénile de la vie pour la vie, caractéristique des peuples en décadence et qu’une décomposition morale déjà très avancée a gangrenés. Oh ! Ne pas être la proie des balles, vivre, vivre ! … pouvait-on lire dernièrement dans la Bataille syndicaliste. Ce cri est vraiment un cri du cœur ; mais on se demande si celui qui l’a poussé irait plus volontiers à la barricade qu’à la frontière et l’on trouvera bien singuliers et bien étranges ces révolutionnaires, si affamés de vivre, qu’ils semblent ne devoir sacrifier leur précieuse peau sur aucun autel, pas plus celui de la Révolution que celui de la Patrie.

Mais surtout il y a une distinction capitale que les syndicalistes semblent méconnaître ; et le passage suivant, extrait de l’Ère nouvelle (1894) va mettre cette distinction en pleine lumière. Dans un compte rendu du livre de Tolstoï sur l’Esprit chrétien et le patriotisme, Sorel écrivait ceci « Le patriotisme est, suivant Tolstoï, une illusion sentimentale entretenue en vue d’opprimer le peuple. À mesure que l’instruction se répand, plus d’individus viennent prendre part au festin gouvernemental et il y a aussi un bien plus grand nombre d’hommes occupés à répandre et à fortifier cette étonnante superstition. D’ailleurs, tout enfant de la plèbe, au sortir du collège, doit choisir entre les menaces du Gouvernement et les bénéfices de la piraterie gouvernementale. En dernière analyse, le patriotisme est une forme de loyalisme approprié aux conditions de la vie politique contemporaine. Il y a lieu de faire une distinction qui échappe à Tolstoï : au commencement de ce siècle, on appelait patriotes[1] les gens qui combattaient pour la

  1. Dans les Mélanges de Proudhon, on peut lire plusieurs articles où notre grand révolutionnaire fait appel aux « Patriotes » (1er vol. p. 22).