Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en appellera du présent au passé qu’il reverra dans un rêve de jeunesse et de lumière, un de ces rêves voilés de lointain, embellis par un idéal de regrets. Il aura des retours d’imagination attendrie pour la vieille montagne au flanc de laquelle le sort l’avait fait naître, pour la maison paternelle blottie sous les lilas géants et dominant la ville en face de la baie. Mais, au seuil de sa jeunesse, les coins familiers à son enfance ne savaient plus retenir son âme, dont toutes les aspirations s’élançaient vers les horizons de la mère patrie.

On n’assiste pas en vain au choc vivifiant des idées, et précisément Leconte de Lisle venait de vivre pendant cinq ou six ans en France, au fort de la grande bataille intellectuelle qui préparait l’avènement de la deuxième République. Nous avons peine à concevoir aujourd’hui l’influence noblement stimulante, vigoureusement éducatrice d’une lutte politique, nous qui nous désintéressons de toute polémique abstraite, nous dont les enfants sont, dit-on, des dégénérés de dégénérés. Leur époque, assure-t-on, doit être moralement pire que la nôtre, et la nôtre n’a pas valu celle des rêveurs enthousiastes et des généreux utopistes qui surent, en 1848, se dévouer pour une idée. L’idée seule peut élever et grandir quiconque croit en elle. Or Leconte de Lisle stagnait à Saint-Denis de Bourbon, tandis que l’idée vibrait éclatante, presque triomphante à Paris. En attendant qu’elle armât les bras, elle enflait les voix, soulevait les poitrines, faisait palpiter d’une immense émotion le cœur mâle de la nation. Comment résister à l’attraction ?

Il n’y résista pas. Ouvert désormais aux idées de France, il voyait son incurable ennui se compliquer d’une insurmontable répulsion devant le spectacle d’esclavage et les scènes d’inhumaine répression dont chaque jour le rendait témoin.

En tous temps il avait aimé les nègres et plus tard