Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/26

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pour réformer, selon cette théorie, les vues d’un Créateur qui s’est montré si dur à l’égard de la Créature.

Or cette critique de l’œuvre divin, ce reniement opposé comme une malédiction au Dieu tourmenteur et jaloux, qui voulut animer l’argile inerte afin de la faire souffrir et pleurer, telle sera la pensée dominante de Leconte de Lisle, celle qui lui suggérera ses inspirations les plus vigoureuses et les plus forts accents de son hautain génie.

Naguère, et tandis qu’il se retrouvait à Bourbon, il sentait encore le goût du lait maternel, tout détrempé de religiosité créole, et répétait à ses camarades de jeunesse les phrases balbutiées jadis par ses lèvres enfantines : « Confions-nous en Dieu, ne le blasphémons pas en doutant de sa sagesse et de sa bonté. » Mais, à Paris, lorsqu’il aura subi les influences nouvelles, il oubliera les bégayements du premier âge, non seulement pour adopter, mais pour faire sienne la formule que lui fournira Fourier. On verra plus loin à quelle hauteur d’expression il sut élever cette formule. Pour le moment, qu’il me suffise d’indiquer que sa pensée se précise et trouve une direction.

On a souvent dit et très à tort que Leconte de Lisle fut une intelligence sereine. Il a bien plutôt un cerveau de combat. Jusqu’au dernier jour, malgré l’âge qui l’affaiblira, malgré les flatteries d’hommes et les cajoleries de femmes qui l'amolliront, il n’a rien désarmé de sa haine contre l’iniquité, de ses révoltes contre le mal :


Le lâche peut ramper sous le pied qui le dompte,
Glorifier l’opprobre, adorer le tourment
Et payer le repos par l’avilissement ;
...............
Je resterai debout ! Et du soir à l’aurore
Et de l’aube à la nuit, jamais je ne tairai
L’infatigable cri d’un cœur désespéré !
La soif de la justice, ô Khéroub, me dévore.
Écrase-moi, sinon jamais je ne ploirai[1] !


  1. Qaïn, Poèmes barbares.