Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/30

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triompher une révolution. En attendant des réformes plus vastes et plus profondes, ils voulaient faire disparaître du passé le panache et les grâces factices dont nos pères avaient affublé les anciens Grecs. Et vaillamment ils s’étaient mis en campagne. Trois ans auparavant, Louis Ménard avait fait paraître un Prométhée délivré, sans cependant avoir la prétention de remplacer par ce poème en vers celui d’Eschyle dont le manuscrit ne nous est pas parvenu. Thalès Bernard venait de traduire le Dictionnaire mythologique, composé par un érudit philosophe, l’Allemand Jacobi. Celui-ci s’efforçait de ramener les dieux antiques à leur véritable type en les recréant par les procédés de critique scientifique et les dégageant de la fantasmagorie des légendes et du fatras des mythes. Tout récemment Eugène Burnouf avait révélé l’Inde religieuse par son Introduction à l’histoire du bouddhisme et par sa Traduction de l’histoire poétique du Krishma. Cette résurrection savante, qui faisait revivre dans la vérité de leurs symboles les anciens mondes, enthousiasma les jeunes poètes en quête d’inspirations nouvelles. Elle ne put manquer d’exalter Leconte de Lisle comme elle exaltait Louis Ménard et Thalès Bernard, ses amis.

Ils formaient une société de trois rêveurs, possédés, à des degrés différents, d’une même répulsion native pour tout travail rémunérateur qui ne répondait pas à leurs goûts d’étude et de réflexion. Plus que les deux autres, Thalès Bernard manquait de force pour s’astreindre aux sujétions lucratives. Un stage de quelques années dans les bureaux du ministère de la guerre mit à bout sa résignation. Il démissionna pour vivre du produit de menus travaux et de pauvres revenus appartenant à sa mère, puis pour mourir en parfait état de misère. Quant à Louis Ménard, titulaire d’un petit patrimoine, il jouissait du rare privilège de pouvoir dépenser vingt-deux sous à son dîner, sans être réduit à les gagner. Indépendant, modéré