Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/57

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le mysticisme halluciné, et, de même qu’il n’a retenu du Fouriérisme que le principe le plus facilement saisissable, la nécessité de reviser les plans divins, de même, du Çakiamounisme, il se contente de retenir cette première affirmation : « La douleur, inséparable de l’existence, est fille du désir ; elle peut cesser par le Nirvana ; pour atteindre le Nirvana, il faut détruire en soi le désir. »

Et Leconte de Lisle s’arrête à cette vérité qui lui suffit. Nul homme n’échappe à la souffrance ; car celui qui nous paraît le mieux servi par la vie pour la satisfaction de ses désirs, celui qui souffre le moins par les causes extérieures, souffre par des causes intérieures. Celui-là se crée sa peine. Puérils regrets, inutiles soucis, ambitions jalouses, faux espoirs, aspirations vaines, vagues à l’âme, sombres humeurs, toutes ces formes du désir jamais satisfait sont la source de douleurs cruelles par leur inanité même. En combien de vers Leconte de Lisle n’a-t-il pas répété cette pensée bouddhique :


La guêpe du désir ravive nos supplices…
N’arracherons-nous pas ce dard qui nous torture[1] ?

Bien des siècles sont morts depuis que l’homme pleure
Et qu’un âpre désir nous consume et nous leurre,
Plus ardent que le feu sans fin et plus amer[2].


Fourier et Çakiamouni, voilà donc les maîtres auxquels il emprunte la part d’alliage dont il va composer son amalgame philosophique et, quand il aura fusionné dans son esprit les deux axiomes, celui du Mal par le désir et celui du Mauvais créateur, du Dieu responsable, il possédera tous les éléments de sa doc-

  1. Les spectres (Poèmes barbares).
  2. Le vœu suprême (Idem). — Cf. Le calice amer du désir,
    Ultra cœlos. (Idem.)