Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/60

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combent écrasées ? Plus douloureusement qu’un autre n’entendra-t-il pas retenir


L’appel désespéré des nations en croix…
Ce lugubre concert du mal universel,
Aussi vieux que le monde et que la race humaine ?


Et, par les chemins du doute et de la révolte, ne s’élèvera-t-il pas vers la foi, vers cette foi faite de pitié sublime, qu’il va traduire en hymnes de haine, en audacieux defis contre les Lâches heureux, contre les Maîtres sans pitié par qui les races sont broyées ? Oui, désormais en son intelligence il aura le mal du mal des autres ; comme son Satan, symboliquement il pourra dire :


J’ai bu toute la mer des larmes infécondes.


Et c’en est fait. Pour lui la période des essais est enfin passée. Longtemps encore il ne se sentira pas monter. Il emploiera quinze ans à prendre pied et, pour s’affirmer au-dessus de la foule qui végète, pour échapper à la basse condition de poète incompris, à la morne obscurité dans laquelle la pauvreté l’enlize, il aura besoin d’un secours en dehors de lui-même, d’une levée de jeunes gens qui le porteront sur leurs épaules ; mais sa grande âme de poète est écluse. Quand sa cohorte admirative viendra se grouper à ses côtés, elle trouvera son génie tout prêt à recevoir la poussée d’élan qui décidera de son essor.

Et voilà ce qu’il aura tiré du bouddhisme, de cette bienfaisante religion qui s’est épandue sur une partie du monde par ondes pacifiantes. Nulle autre ne sut adoucir les mœurs de peuples plus farouches. En prêchant la suppression du désir, elle a combattu les luttes jalouses, les rancunes sanguinaires ; en posant le principe de perfection, elle a recommandé la bonté, la compassion, l’amour, et de toutes ces belles vertus