Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/62

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Laissant ce corps d’une heure errer à l’aventure,
Par le torrent banal de la foule emporté,
Que n’en détachais-tu l’âme en fleur, ô Nature,
Pour l’absorber dans ton impassible beauté[1] ?


Je borne là la citation, malgré l’expressive harmonie de tant d’autres vers qu’il conviendrait de rapporter. J’ai voulu seulement indiquer que Leconte de Lisle fut un panthéiste vacillant. Ce n’est pas tout. On pourrait aussi bien découvrir en son œuvre quelques réveils de chrétien romantique. Par intervalles il s’avise de vouloir mordre au pain amer de la douleur ; ou bien encore, il en appelle au Néant de la mort, à la Nuit sans limites[2].


Puisqu’il n’est, par delà nos moments révolus,
Que l’immuable oubli de nos mille chimères,
À quoi bon se troubler des choses éphémères ?
À quoi bon le souci d’être ou de n’être plus[3] ?


Strophe que compléteront celles-ci, souvent reproduites parce qu’elles ont la grandeur des choses définitives :


Mais si rien ne répond dans l’immense étendue,
Que le stérile écho de l’éternel désir.
Adieu, déserts où l’âme ouvre une aile éperdue,
Adieu, songe sublime impossible à saisir !

Et toi, divine Mort où tout rentre et s’efface,
Accueille tes enfants dans ton sein étoilé ;
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace,
Et rends-nous le repos que la vie a troublé[4].


  1. Ultra cœlos (Poèmes barbares).
  2. Et ce sera la Nuit aveugle, la grande Ombre,
    Informe, dans son vide et sa stérilité.

    (La dernière vision, Poèmes barbares.)
  3. Si l’aurore (Poèmes tragiques).
  4. Dies iræ (Poèmes antiques).