Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/17

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qui avait tout vu de quelques pas à l’écart. Un peu plus loin se tenait un autre portefaix, qui vit aussi tout ce qui s’était passé, et au moment où Cortado donnait le mouchoir à Rincon, il s’approcha d’eux. « Dites-moi, seigneurs galants, vos grâces sont-elles ou non de mauvaise entrée ? — Nous n’entendons pas ce que cela veut dire, seigneur galant, répondit Rincon. — Comment, vous n’y êtes pas, seigneurs Murciens[1] ? répliqua l’autre. — Nous ne sommes ni de Murcie, ni de Teba, reprit Cortado. Si vous avez autre chose à dire, dites-la ; sinon, que Dieu vous conduise ! — Ah ! vous n’entendez pas la chose ! dit le portefaix. Eh bien ! je vais vous la faire entendre, et même vous la faire boire avec une cuillère d’argent. Je demande à vos grâces si vous êtes voleurs ; et je ne sais pourquoi je vous en fais la question, puisque je vois bien que vous l’êtes. Mais, dites-moi, comment n’êtes-vous point passé à la douane du seigneur Monipodio ? — Tiens, dit Rincon, est-ce qu’on paie dans ce pays patente de voleur, seigneur galant ? — Si l’on ne paie patente, répondit le portefaix, du moins on passe la visite devant le seigneur Monipodio, qui est le père à tous, le maître et le protecteur. Je vous conseille donc de venir avec moi lui rendre obéissance ; sinon, ne vous avisez pas de voler sans sa permission ; il vous en cuirait. — J’avais pensé, reprit Cortado, que le métier de voleur était un état libre, quitte d’octrois et de gabelle, et que, si l’on a des droits à payer, c’est sous le cautionnement de la gorge et des épaules. Mais, puisqu’il en est ainsi, et que chaque pays a sa

  1. Murcio, dans l’argot bohémien, veut dire voleur.