Page:Challamel - Souvenirs d’un hugolâtre.djvu/139

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poche un fort morceau de pain, et, si c’était l’heure d’un de ces cours suivis, je commençais par me diriger vers la Sorbonne ou vers le Collège de France ; puis je m’acquittais de ma commission, trop tardivement, ainsi que vous le pensez, de manière à m’attirer, au retour, les plus graves réprimandes :

« Voilà trois heures que vous êtes parti ! Qu’avez-vous fait ?

— Cela est impardonnable !

— La cliente a attendu vainement !

— Il n’est pas possible que cela continue !… »

À part moi, j’approuvais. On avait raison de m’adresser des reproches, et j’étais d’avis que les choses ne pouvaient durer.

Mes escapades se multiplièrent, à mesure que je me sentais plus préparé pour les épreuves du baccalauréat. Un moment vint, enfin, où l’incompatibilité d’humeur, entre les patrons et moi, se déclara à l’état aigu.

Je pris mon parti en brave, et je quittai brusquement le magasin des Deux Pierrots, en emportant un petit paquet de linge, à la façon de Jean-Jacques. J’embrassai ma sœur, qui essaya vainement de me retenir, et, suivant le proverbe, j’inspectai le pavé de Paris. Ouf ! je respirais.

Ce fut un événement considérable dans la famille. Les uns me blâmèrent ; les autres gardè-