Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/234

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nation perdre en un moment toute sa férocité. Les Waller, les Rochester, et quelques autres génies semblables adoucirent ces âmes cruelles qui, depuis trente années , s’étaient nourries de haine, de fanatisme et de carnage.

Mais quel spectacle étrange me rappelle encore dans Rome , au milieu des tyrans qui la tourmentent ! un Sénèque mêlant tranquillement son sang au sang de son épouse qui l'accompagne au tombeau ; un Thraséas recevant au milieu de ses jardins l’arrêt de sa mort, du même visage dont il venait de s’en entretenir avec ses amis ; et la fille de l’illustre Arrie implorant, de la tendresse de son époux, la liberté de le suivre. Mille Romains quittent la vie sans tristesse et sans joie, après un festin, une conversation, une lecture ; il semble que les liens de l’àme et du corps soient usés pour eux, et que l’un et l’autre se séparent à leur gré sans douleur. Est-ce donc le siècle des Décius , et celui des Tibère et des Néron qui se confondent ensemble à mes yeux ? ou Rome va-t-elle renaître encore ? Non : Rome est foulée sous les pieds des tyrans. Que dis-je ? ils voudraient anéantir la vertu avec la liberté ; mais la vertu rit de leurs vaines fureurs. Quand elle ne peut plus habiter le siècle qu’ils ont souillé, le génie la reçoit dans ses écrits, et la rend à l’univers quand les monstres en ont disparu.

Ce furent Sénèque, Lucain et d’autres écrivains imbus des dogmes de Zenon, qui répandirent cet