Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/235

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esprit stoïque, dont l'inflexible raideur fit faire à la vertu ces efforts excessifs, la porta à se détruire pour se conserver , et lui fit passer les bornes de la nature, pour échapper aux tyrans qui franchis- saient les bornes ordinaires de l'inhumanité. Les Romains , excédés du spectacle de leur lumière , appelèrent à leur secours le stoïcisme , cette philo- sophie de l'homme malheureux, qui leur ôtait le sentiment quand ils n'avaient plus que des maux à sentir, et qui leur apprenait à mépriser une vie qu'il fallait craindre de perdre à chaque instant , ou qu'il fallait avilir. Pardonnons à Sénèque , à Lucain, d'avoir altéré la pureté du goût des Horace et des Virgile. Il ne furent pas comme eux , tou- jours occupés à vanter les faveurs d'Auguste : il leur fallait s'exhorter sans cesse à mourir. Si le goût doit se livrer avec réserve aux éclairs de leur génie , la force de leur âme , déposée dans leurs pensées, ennoblit et fortifie la nôtre. Les deux plus nobles emplois du génie , c'est d'encouraj^er à la vertu par ses écrits , et de remettre dans la route de la vérité la raison humaine toujours prête à s'en écarter.

Elle était plongée, depuis Aristote, dans un sommeil léthargique , voisin de la mort : il sem- blait que la pensée eut perdu son mouvement, et que l'entendement humain se fût arrêté. Une longue suite de siècles informes avait passé dans l'ombre de la nuit sans traits et sans couleurs. Nul génie n'avait paru pour les marquer de l'em-

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