Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/373

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multitudes pussent jamais vivre ensemble ? ne se serait-il pas fait une idée encore plus affreuse de ce qui s’y commet de crimes et de monstruosités ? C’est la réflexion qu’il faut faire, pour se consoler des abus attachés à ces étonnantes réunions d’hommes.

— Les prétentions sont une source de peines, et l’époque du bonheur de la vie commence au moment où elles finissent. Une femme est-elle encore jolie au moment où sa beauté baisse ? ses prétentions la rendent ou ridicule ou malheureuse : dix ans après, plus laide ou vieille, elle est calme et tranquille. Un homme est dans l’âge où l’on peut réussir et ne pas réussir auprès des femmes ; il s’expose à des inconvéniens, et même à des affronts : il devient nul ; dès lors plus d’incertitudes, et il est tranquille. En tout, le mal vient de ce que les idées ne sont pas fixes et arrêtées : il vaut mieux être moins, et être ce qu’on est incontestablement. L’état des ducs et pairs, bien constaté, vaut mieux que celui des princes étrangers, qui ont à lutter sans cesse pour la prééminence. Si Chapelain eût pris le parti que lui conseillait Boileau, par le fameux hémistiche : Que n’écrit-t-il en prose ? il se fût épargné bien des tourmens, et se fut peut-être fait un nom, autrement que par le ridicule.

— N’as-tu pas honte de vouloir parler mieux que tu ne peux ? disait Sénèque à l’un de ses fils, qui ne pouvait trouver l’exorde d’une harangue