Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/38

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qu’il aurait plus d’avantage à combattre le ridicule qu’à s’attaquer au vice. C’est que le ridicule est une forme extérieure qu’il est possible d’anéantir ; mais le vice, plus inhérent à notre âme, est un Protée, qui, après avoir pris plusieurs formes, finit toujours par être le vice. Le théâtre devint donc en général une école de bienséance plutôt que de vertu, et Molière borna quelque temps son empire pour y être plus puissant. Mais combien de reproches ne s’est-il point attirés en se proposant ce but si utile, le seul convenable à un poète comique, qui n’a pas, comme de froids moralistes, le droit d’ennuyer les hommes, et qui ne prend sa mission que dans l’art de plaire ! Il n’immola point tout à la vertu ; donc il immola la vertu même : telle fut la logique de la prévention ou de la mauvaise foi. On se prévalut de quelques détails nécessaires à la constitution de ses pièces, pour l’accuser d’avoir négligé les mœurs : comme si des personnages de comédie devaient être des modèles de perfection ; comme si l’austérité, qui ne doit pas même être le fondement de la morale, pouvait devenir la base du théâtre. Eh ! que résulte-t-il de ses pièces les plus libres, de l’École des Maris et de l’École des Femmes ? Que ce sexe n’est point fait pour une gêne excessive ; que la défiance l’irrite contre des tuteurs et des maris jaloux. Cette morale est-elle nuisible ? N’est-elle pas fondée sur la nature et sur la raison ? Pourquoi prêter à Molière l’odieux