Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/431

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quelques distractions à des peines cruelles, on me prêchait l’amour de la retraite, du travail, et on m’assommait de sermons pédantesques sur ce sujet. Arrivé à quarante ans, ayant perdu les passions qui rendent la société supportable, n’en voyant plus que la misère et la futilité, n’ayant plus besoin du monde pour échapper à des peines qui n’existaient plus, le goût de la retraite et du travail est devenu très-vif chez moi, et a remplacé tout le reste ; j’ai cessé d’aller dans le monde : alors, on n’a cessé de me tourmenter pour que j’y revinsse ; j’ai été accusé d’être misanthrope, etc. Que conclure de cette bizarre différence ? Le besoin que les hommes ont de tout blâmer.

— Je n’étudie que ce qui me plaît ; je n’occupe mon esprit que des idées qui m’intéressent. Elles seront utiles ou inutiles, soit à moi, soit aux autres ; le temps amènera ou n’amènera pas les circonstances qui me feront faire de mes acquisitions un emploi profitable. Dans tous les cas, j’aurai eu l’avantage inestimable de ne me pas contrarier, et d’avoir obéi à ma pensée et à mon caractère.

— J’ai détruit mes passions, à peu près comme un homme violent tue son cheval, ne pouvant le gouverner.

— Les premiers sujets de chagrin m’ont servi de cuirasse contre les autres.

— Je conserve pour M. de la B… le sentiment qu’un honnête homme éprouve en passant devant le tombeau d’un ami.