Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/45

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sance du cœur ! quel choix dans l’assemblage des vices et des travers dont il compose le cortège d’un vice principal ! avec quelle adresse il les fait servir à le mettre en évidence ! Quelle finesse sans subtilité ! quelle précision sans métaphysique dans les nuances d’un même vice ! Quelle différence entre la dureté du superstitieux Orgon attendri malgré lui par les pleurs de sa fille, et la dureté d’Harpagon insensible aux larmes de la sienne !

C’est ce même sentiment des convenances, cette sûreté de discernement qui ont guidé Molière, lorsque, mettant sur la scène des vices odieux, comme ceux de Tartuffe et d’Harpagon, c’est un homme et non pas une femme qu’il offre à l’indignation publique. Serait-ce que les grands vices, ainsi que les grandes passions, fussent réservés à notre sexe ; ou que la nécessité de haïr une femme fût un sentiment trop pénible, et dût paraître contre nature ? S’il est ainsi, pourquoi, malgré le penchant mutuel des deux sexes, cette indulgence n’est-elle pas réciproque ? C’est que les femmes font cause commune ; c’est qu’elles sont liées par un esprit de corps, par une espèce de confédération tacite, qui, comme les ligues secrètes d’un état, prouve peut-être la faiblesse du parti qui se croit obligé d’y avoir recours.

Molière se délassait de tous ces chefs-d’œuvres par des ouvrages d’un ordre inférieur, mais qui, toujours marqués au coin du génie, suffiraient pour la gloire d’un autre. Ce genre de comique où