Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/49

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t-il toujours une hauteur inflexible à l’égard de ces hommes qui, fiers de quelques avantages frivoles, veulent que le génie ne le soit pas des siens ; exigent qu’il renonce pour jamais au sentiment de ce qui lui est dû, et s’immole sans relâche à leur vanité. À cette raison impartiale, il joignait l’esprit le plus observateur qui fût jamais. Il étudiait l’homme dans toutes les situations ; il épiait surtout ce premier sentiment si précieux, ce mouvement involontaire qui échappe à l’âme dans sa surprise, qui révèle le secret du caractère, et qu’on pourrait appeler le mot du cœur. La manière dont il excusait les torts de sa femme, se bornant à la plaindre, si elle était entraînée vers la coquetterie par un charme aussi invincible qu’il était lui-même entraîné vers l’amour, décèle à la fois bien de la tendresse, de la force d’esprit, et une grande habitude de réflexion. Mais sa philosophie, ni l’ascendant de son esprit sur ses passions, ne purent empêcher l’homme qui a le plus fait rire la France, de succomber à la mélancolie : destinée qui lui fut commune avec plusieurs poètes comiques ; soit que la mélancolie accompagne naturellement le génie de la réflexion, soit que l’observateur trop attentif du cœur humain en soit puni par le malheur de le connaître. Que ceux qui savent lire dans le cœur des grands hommes conçoivent encore quelle dut être son indignation contre les préjugés dont il fut la victime. L’homme le plus extraordinaire de son temps, comme Boi-