Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/60

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si la France n’eût produit un homme unique dans l’histoire des lettres , qui devait porter la peinture des mœiu’s dans l’apologue , et l’apologue dans champ de la poésie. C’est alors que la fable devient un ouvrage de génie, et qu’on peut s’écrier, comme notre fabuliste , dans l’enthousiasme que lui inspire ce Ixel art : C est proprement un clmr- me [1]. Oui, c’en est un sans doute; mais on ne réprouve qu’en lisant La Fontaine , et c’est à lui que le charme a commencé.

L’art de rendre la morale aimable existait à peine parmi nous. De tous les écrivains profanes, Montaigne seul (car pourquoi citerais-je ceux qu’on ne lit plus?) avait approfondi avec agré- ment cette science si compliquée, qui, pour l’hon- neur du genre humain , ne devrait pas même être une science. jNïais, outre l’inconvénient d’un lan- gage déjà vieux , sa philosophie audacieuse , sou- vent libre jusqu’au cynisme, ne pouvait convenir ni à tous les âges , ni à tous les esprits ; et son ou- vrage , précieux à tant d’égards , semble plutôt une peinture fidèle des inconséquences de l’esprit humain , qu’un traité de philosophie pratique, il nous fallait un livre d’une morale douce, aimable, facile, applicable à toutes les circonstances, faite

  1. Chamfort, dans cet Eloge , se plaît souvent à emprunter à La Fontaine ses propres expressions : on a eu soin de les distinguer par un caractère différent.