Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/65

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Enfin l’homme corrigé par Molière, cessant d’être ridicule , pourrait demeurer vicieux : corrigé par La Fontaine , il ne serait plus ni vicieux ni ridicule , il serait raisonnable et bon ; et nous nous trouverions vertueux, comme La Fontaine était philosophe , sans nous en douter.

Tels sont les principaux traits qui caractérisent chacun de ces grands hommes; et si l’intérêt qu’inspirent de tels noms me permet de joindre à ce parallèle quelques circonstances étrangères à leur mérite, j’observerai que, nés l’un et l’autre précisément à la même époque, tous deux ’sans modèles parmi nous, sans rivaux, sans successeurs, liés pendant leur vie d’une amitié constante, la même tombe les réunitaprès leur mort ; et que la même poussière couvre les deux écrivains les plus originaux que la* France ait jamais produits [1].

Mais ce qui distingue La Fontaine de tous les moralistes, c’est la facilité insinuante de sa morale; c’est cette sagesse, naturelle comme lui- même, qui paraît n’être qu’un heureux développement de son instinct. Chez lui , la vertu ne se présente point environnée du cortège effrayant qui l’accompagne d’ordinaire : rien d’affligeant, rien de pénible. Offre-t-il quelque exemple de générosité, quelque sacrifice , il le fait naître de l’amour, de l’amitié, d’un sentiment si simple ,

  1. Ils ont été enterrés dans l’église Saint-Joseph, rue Montmartre.