Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/73

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DE CHAMFORT. /jC)

étonnant. C'est à lui seul qu'il était réservé de faire admirer, dans la brièveté d'un apologue, l'accord des nuances les plus tranchantes et l'har- monie des couleurs les plus opposées. Souvent une seule fable réunit la naïveté de Marot, le badi- nage et l'esprit de Voiture , des traits de la plus haute poésie , et plusieurs de ces vers que la force du sens grave à jamais dans la mémoire. Nul au- teur n'a mieux possédé cette souplesse de l'âme et de l'imagination qui suit tous les mouvemens de son sujet. Le plus familier des écrivains de- vient tout à coup et naturellement le traducteur de Virgile ou de Lucrèce ; et les objets de la vie commune sont relevés chez lui par ces tours nobles et cet heureux choix d'expression qui les rendent dignes du poème épique. Tel est l'artf- fice de son style , que toutes ces beautés semblent se placer d'elles-mêmes dans sa narration , sans interrompre ni retarder sa marche. Souvent même la description la plus riche , la plus brillante , y devient nécessaire , et ne paraît , comme dans la fable du Chêne et du Roseau , dans celle du Soleil et de Borée, que l'exposé même du fait qu'il ra- conte. Ici, messieurs, le poète des grâces m'ar- rête et m'interdit, en leur nom, les détails et la sé- cheresse de l'analyse. Si l'on a dit de Montaigne qu'il faut le montrer et non le peindre , le trans- crire et non le décrire , ce jugement n'est-il pas plus applicable à La Fontaine ? Et combien de fois en effet n'a-t-il pas été transcrit? Mes juges

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