Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/79

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aveugle et involontaire, fut dispensé par la nature du soin d’ajouter à ses dons , et de qui l’heureuse indolence cueillait nonchalamment des fleurs qu’il n’avait point fait naître. Sans doute La Fontaine dut beaucoup à la nature qui lui prodigua la sensibilité la plus aimable , et tous les trésors de l’imagination ; sans doute le fablier était né pour porter des fables : mais par combien de soins cet arbre si précieux n’avait-il pas été cultivé ? Qu’on se rappelle cette foule de préceptes du goût le plus fin et le plus exquis , répandus dans ses préfaces et dans ses ouvrages ; qu’on se rappelle ce vers si heureux, qu’il met dans la bouche d’Apollon lui-même :

Il me faut du nouveau , n’en fàl-il plus au monde ;

doutera-t-on que La Fontaine ne Tait cherché , et que la gloire , ainsi que la fortune , ne vende ce quon croit quelle donne? Si ses lecteurs, séduits par la facilité de ses vers , refusent d’y reconnaître les soins d’un art attentif , c’est précisément ce qu’il a désiré. Nier son travail, c’est lui en assurer la plus belle récompense. O La Fontaine ! la gloire en est plus grande : le triomphe de l’art est d’être ainsi méconnu.

Et comment ne pas apercevoir ses progrès et ses études dans la marche même de son esprit ? Je vois cet homme extraordinaire , cloué d’un talent qu’à la vérité il ignore lui-même jusqu’à