Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t2.djvu/239

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grille, l’ébranlent, parviennent à l’ouvrir, et sur-le-champ se rangent en bataille à l’entrée du dépôt, en face des Allemands qui semblaient les braver. Qui vive ? s’écrient les gardes-françaises. Royal-Allemand, répondit-on. Êtes vous pour le tiers-état ? C’était alors le nom de la nation française, en mettant à part ses oppresseurs prêtres et laïcs, c’est-à-dire trois cents mille hommes tout au plus sur vingt-cinq millions. À cette demande, êtes-vous pour le tiers-état ? des étrangers, des mercenaires, durent répondre et répondirent en effet : Nous sommes pour ceux qui nous donnent des ordres. Cette réponse leur valut une décharge suivie d’un feu roulant, qui leur tua deux hommes et en blessa trois. Ils tirèrent de leur côté quelques coups de pistolets, dont un seul homme fut blessé légèrement. Ce fut le terme de leurs exploits : une fuite soudaine les déroba à la fureur de leurs adversaires et à la vengeance du peuple. Ce qui étonna davantage, ce fut le désordre dans lequel ils s’enfuirent, les uns prenant à droite, les autres à gauche, oubliant leurs brillantes manœuvres, et occupés seulement du soin de se sauver. Il semblait que le génie de la France les eût frappés de terreur, comme il avait frappé de vertige les chefs qui leur donnaient des ordres et les ministres qui avaient employé de pareils chefs.

Les gardes-françaises, vainqueurs de ces ennemis détestés, s’avancèrent au pas de charge, et la baïonnette en avant, jusqu’à la place de