Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t3.djvu/457

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d’aller recevoir ta nourriture à la porte d’Hatimthai ?

Gemmade lui répondit :

« Parce que celui qui sait se suffire à soi-même ne veut rien devoir à Hatimthai. »

Celui-ci réfléchit.

« Quelle noblesse, dit-il dans un si pauvre homme. Eh quoi ! n’aurais-je à ma porte, et même dans mon salon, que les deux parties les plus viles de l’espèce humaine ? et ceux qui ont un peu de vertu ou de fierté rougiraient-ils d’accepter mes bienfaits ? »

Mais ceci, me dira-t-on, est le pont aux ânes ; c’est ce qui a été dit partout. On a prouvé mille fois que la philosophie rendait un homme heureux dans la solitude, et qu’elle lui faisait dédaigner ces joies du monde qui ne satisfont ni l’âme ni le cœur. Serait-ce donc là le seul bienfait de la philosophie ? Rousseau a-t-il raison ?

Hatimthai, en rentrant au palais, traverse la foule des pauvres vivant des restes de ses festins. Il voit entre autres Zilcadé, ce jeune paresseux, qui court devant ses pas en semant des roses sur la terre, et qui est toujours le premier à crier : « Vive Hatimthai ! »

— « Tu es bien brillant de santé, lui dit-il ? »

— « C’est que les carcasses de tes faisans sont depuis quelque temps plus grasses et plus succulentes encore. »