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DE CHAMFORT. C)3

plaisir nous fait passer sur bien des irrégularités, c'est qu'on ne soit pas blessé des monologues dans les tragédies, surtout quand ils sont un peu longs. Où trouverait-on, dans la nature, des hommes raisonnables qui parlassent ainsi tout haut, qui prononçassent distinctement et avec ordre tout ce qui se passe dans leur cœur ? Si quelqu'un était surpris à tenir tout seul des discours si passionnés et si continus , ne serait-il pas légitimement sus- pect de folie ?

Cependant tous nos héros de théâtre sont atteints de cette espèce d'égarement ; ils raisonnent , ils racontent même , ils arrangent des projets , s'ob- jectent des difficultés qu'ils lèvent dans le moment, balancent différens partis et des raisons contraires, et se déterminent enfin au gré de leurs passions et de leurs intérêts ; tout cela comme s'ils ne pou- vaient se sentir et se conseiller eux-mêmes, sans articuler tout ce qu'ils pensent.

Où prendre , encore un coup , les originaux de semblables discoureurs ? On va me dire , sans doute , qu'ils sont supposés ne pas parler : mais il faudrait alors que , par une supposition plus violente , nous nous imaginassions lire dans leur cœur et suivre exactement leurs pensées. De quelque façon que nous l'entendions , voilà des idées bien bizarres ; ne sommes-nous pas réduits à avouer que la force de l'habitude nous fait dévorer les absurdités les plus étranges ?

Hasarderai-je là-dessus une pensée qui ne me

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