Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t4.djvu/19

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DE CHAMFORT. I !

Spectacle n'inspire qu'une terreur et qu'une pitié plus capables d'abattre le cœur que de l'alTermir.

On a beau dire , la vue des misérables ne nous console point de l'être : sans compter que l'homme se porte avec soin à éviter , autant qu'il le peut , une si triste vue, pour jouir plus tranquillement des douceurs de la vie ; ou qu'il se rend dur et insensible sur les misères de ses pareils , oubliant qu'il est homme comme eux , et qu'il paiera chè- rement (^e courtes joies par de longues douleurs.

Comment donc précautionner l'homme contre des maux inévitables ? comment le rendre sensible autant qu'il doit l'être ? comment le fortifier contre fabattement où le jettent la crainte et la pitié ? On le peut faire , en le réjouissant par le spectacle même de ses maux , en v attachant ses regards malgré lui par un attrait de plaisir dont il ne puisse se défendre , et en insinuant dans son cœur ce que cette crainte et cette pitié ont d'agréa- ble et de doux , non-seulement pour le genre humain , mais encore pour lui apprendre à modé- rer ses passions, quand des maux réels viendront les exciter. Car lorsqu'on s'apprivoise avec l'idée des maux , on se fortifie soi-même contre eux , et on se porte plus vivement à les soulager en autrui , par l'espoir du retour.

Par ce moyen , la poésie procure deux avan- tages considérables à l'humanité : l'un , d'adoucir les mœurs des hommes comme l'ont fait Orphée , Linus et Homère ; l'autre, de rendre leur sensibi-

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