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DE CHAMFORT. l3

peuples pour suivre de plus près la nature , comme un sculpteur habile et éclairé étudie l'an- tique qui a plu , pour approcher de plus près du vrai beau qui doit plaire.

Je vais encore plus loin , et je suppose, qu'Es- chyle n'ait pas connu tout d'un coup que le but de la tragédie était de corriger la crainte et la pitié par leurs propres effets : du moins on doit conve- nir que , puisqu'il a tâché de les exciter dans ses pièces , il a eu en vue de réjouir ses spectateurs par l'imitation de la crainte et de la pitié , et que par conséquent il a senti le prix de ces passions mises en œuvre. S'il n'a voulu instruire , il a prétendu plaire : et pouvait-il imaginer deux moyens plus efficaces pour y parvenir ?

Enfin , Eschyle a conçu visiblement que la tra- gédie devait se nourrir de passions , ainsi que le poème épique , quoique d'une façon différente , c'est-à-dire , avec un air plus vif et plus animé , à proportion de la différence qui doit se trouver entre la durée de l'un et celle de l'autre, entre un livre et un spectacle. Il s'est représenté l'épopée comme une reine auguste assise sur un trône , et dont le front chargé de nuages laisse entrevoir de vastes projets et d'étranges révolutions : au lieu qu'il s'est figuré la tragédie , éplorée et le poi- gnard en main , telle qu'on la présente, accompa- gnée de la terreur et de la compassion , précédée par le désespoir , et bientôt suivie de la tristesse et du deuil. Mais pour ces mouvemens, il faut

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