Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t5.djvu/15

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DE CHAMfORT. I f

Eslher , que craignez-vous ? suis-je pa^ votre frère? Est-ce pour vous qu'est fait un ordre si sévère ? Vivez. Le sceptre d'or que vous tend cette main , Pour vous, de ma clémence est un signe certain.

Mais quelle sensation délicieuse , surtout lors- qu'Esther , revenant un peu à elle-même, répond par ces deux vers d'une harmonie enchanteresse !

Quelle voix salutaire ordonne que je vive , Et rappelle en mon sein mon âme fugitive ?

Je sens alors que mon àme est touchée , mon oreille est enchantée , mes sens sont ravis; Esther s'empare de toutes mes affections. Je n'ai pu être rassuré par l'idée qu'une maîtresse peut toujours croire à la clémence de son amant , parce que j'ai vu que cette idée n'était entrée pour rien dans la démarche d'Esther. D'ailleurs , elle est encore sous mes yeux ; je la vois pâle , éperdue , à demi- morte ; et je ne doute plus que , victime dévouée, elle ne marchât en holocauste pour son dieu et sa nation. J'épouse tous ses sentimens ; sa passion me pénètre; je tremble encore pour les jours de Mardochée ; et l'impie Aman me paraît alors in- digne de toute pitié. Voilà l'effet de la magie de Racine , qui sentait le défaut de son plan ; mais le prestige tombe aux yeux plus calmes de la rai- son; et celui qui avait admiré, dans la jeune reine, le dangereux courage de braver les ordres d'un despote pour sauver sa pairie , voudrait pouvoir

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