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est un jeune poëte d’une figure très-aimable (encore la figure), avec assez de talent, les plus belles apparences de modestie, et la suffisance la mieux conditionnée. C’est un petit ballon dont une piqûre d’épingle fait sortir un vent violent. »

En dépit des critiques, ou à cause des critiques mêmes dont le public a quelquefois l’esprit de ne prendre que ce qui lui convient, ces divers triomphes firent rechercher Chamfort. Sa belle mine et l’attrait prestigieux de sa conversation, féconde en saillies, le mirent bientôt tout à fait à la mode.

L’amour avait ses libertés dans ce temps-là. Ce n’était pas le dieu sévère et un peu morose qu’on a essayé d’en faire de nos jours. Il paraît que les grandes dames d’alors avaient du goût pour les lettres et pour les littérateurs. Elles absorbaient les loisirs du jeune lauréat. L’une d’elles, madame la princesse de Craon, résumait ainsi, pour l’édification d’une de ses amies, en quelques mots assez nets, la nature des qualités de Chamfort et l’étendue de ses succès : « Vous ne voyez en lui qu’un Adonis, et c’est un Hercule. »

« Il paraît, dit à cette occasion M. Houssaye, à qui nous empruntons volontiers quelques détails sur cette phase de la vie de Chamfort, il paraît que Hercule-Chamfort fut soumis à de trop rudes travaux, comme son ancien ; car, au bout de quelques années, nous le trouvons, pour ses péchés, aux eaux de Spa et aux eaux de Baréges, partout où Cupidon s’était mis au régime et buvait de l’eau. »

Il revint à Paris, résolu à faire pénitence. « En effet, ajoute l’historien du 41ème fauteuil de l’Académie, il concourut une seconde fois pour un prix académique ; mais, moins heureux qu’à la première, il n’obtint pas même une mention. Son discours en vers, intitulé l’Homme de lettres, fut battu par le Poëte de La Harpe.