Page:Chapman - Les Fleurs de givre, 1912.djvu/220

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Tout près stationnait, morne et silencieux,
L’attelage poudreux d’un laitier.
                                                                L’haridelle
Qui traînait les bidons, patiente et fidèle,
En dépit de la bise et des cris du passant !
Attendait, sans broncher, son conducteur absent,
Sans doute oubliant l’heure au fond d’une buvette.
Dans la placidité d’une douleur muette,
L’animal, tête basse, avait l’air de songer,
Faisant peut-être un rêve où n’aurait pu plonger
L’instinct du maître moins clairvoyant et moins sage.
Par moments le cheval relevait son visage,
Où pour moi se lisait quelque chose d’humain,
Vers celui qui chantait, une écuelle à la main ;
Comme s’il eût compris que des liens intimes
Devaient les rapprocher, eux les sombres victimes
De l’âge, du travail et de l’infirmité,

Et comme s’il eût plaint l’homme déshérité
Devant lequel, hélas ! le passant égoïste
Se détournait.
                                      Toujours l’aveugle, seul et triste,
À la bise jetait sa dolente chanson,
Toujours l’arbre laissait ses feuilles à foison
Choir à ses pieds, avec un sinistre murmure.