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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rimes avec autant de plaisir que des vers d’Homère ; une madone coiffée d’une couronne gothique, vêtue d’une robe de soie bleue, garnie d’une frange d’argent, m’inspire plus de dévotion qu’une Vierge de Raphaël.

Du moins, si cette pacifique Étoile des mers avait pu calmer les troubles de ma vie ! Mais je devais être agité, même dans mon enfance ; comme le dattier de l’Arabe, à peine ma tige était sortie du rocher qu’elle fut battue du vent.

J’ai dit que ma révolte prématurée contre les maîtresses de Lucile commença ma mauvaise renommée ; un camarade l’acheva.

Mon oncle, M. de Chateaubriand du Plessis, établi à Saint-Malo comme son frère, avait, comme lui, quatre filles et deux garçons[1]. De mes deux cousins (Pierre et Armand), qui formaient d’abord ma société, Pierre devint page de la reine, Armand fut envoyé au collège comme étant destiné à l’état ecclésiastique. Pierre, au sortir des pages, entra dans la marine et se noya à la côte d’Afrique. Armand, depuis longtemps enfermé au collège, quitta la France en 1790, servit pendant toute l’émigration, fit intrépidement dans une chaloupe vingt voyages à la côte de Bretagne, et vint enfin mourir pour le roi à la plaine de Grenelle, le vendredi saint de l’année 1809[2], ainsi que je l’ai déjà

  1. De ces six enfants, cinq figurent sur les registres de naissance de Saint-Malo : Adélaïde, née en 1762 ; Emilie-Thérèse-Rosalie, née le 12 septembre 1763 ; Pierre, né en 1767 ; Armand-Louis-Marie, né le 16 mars 1768 ; Modeste, née en 1772.
  2. Ici encore, dans toutes les éditions, on a imprimé à tort : 1810.