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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Cette mer que je devais rencontrer sur tant de rivages baignait à Brest l’extrémité de la péninsule armoricaine : après ce cap avancé, il n’y avait plus rien qu’un océan sans bornes et des mondes inconnus ; mon imagination se jouait dans ces espaces. Souvent, assis sur quelque mât qui gisait le long du quai de Recouvrance, je regardais les mouvements de la foule : constructeurs, matelots, militaires, douaniers, forçats, passaient et repassaient devant moi. Des voyageurs débarquaient et s’embarquaient, des pilotes commandaient la manœuvre, des charpentiers équarrissaient des pièces de bois, des cordiers filaient des câbles, des mousses allumaient des feux sous des chaudières d’où sortaient une épaisse fumée et la saine odeur du goudron. On portait, on reportait, on roulait de la marine aux magasins, et des magasins à la marine, des ballots de marchandises, des sacs de

    commandement du Corps de la marine royale, exclusivement composé d’officiers de marine. À la fin de la campagne, ce corps fut licencié ; mais il fut réorganisé deux ans plus tard, en Angleterre, et le comte d’Hector en fut de nouveau nommé colonel, ce qui fit donner à ce régiment, formé tout entier d’officiers de marine, comme en 1792, le nom de régiment d’Hector. Nous avons vu, dans la note sur Gesril, que ce dernier en faisait partie. Lorsque ce régiment fut appelé à faire partie de l’expédition de Quiberon, il se trouva que les intrigues de Puysaie avaient fait écarter le comte d’Hector. Ses instances furent telles qu’à la fin il lui fut accordé d’aller rejoindre son poste de combat. Mais comme il faisait route pour la Bretagne, il apprit le désastre de l’expédition (21 juillet 1793). D’Hector avait alors 73 ans, et il lui fallait renoncer à l’espoir qu’il avait eu de mourir sur le champ de bataille ; il se renferma dans la retraite, près de la ville de Reading, à treize lieues de Londres, et c’est là qu’il mourut, le 18 août 1808, à l’âge de 86 ans. — Le comte d’Hector a laissé des Mémoires, encore inédits, mais qui, nous l’espérons, verront bientôt le jour.