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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

peut-être y reviendra un jour comme les autres… Une infinité de présents, des pensions, des réparations de chemins et de villes, quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bals éternels, des comédies trois fois la semaine, une grande braverie : voilà les états. J’oublie trois ou quatre cents pipes de vin qu’on y boit[1]. »

Les Bretons ont de la peine à pardonner à madame de Sévigné ses moqueries. Je suis moins rigoureux ; mais je n’aime pas qu’elle dise : « Vous me parlez bien plaisamment de nos misères ; nous ne sommes plus si roués : un en huit jours seulement, pour entretenir la justice. Il est vrai que la penderie me paraît maintenant un rafraîchissement. » C’est pousser trop loin l’agréable langage de cour : Barère parlait avec la même grâce de la guillotine. En 1793, les noyades de Nantes s’appelaient des mariages républicains : le despotisme populaire reproduisait l’aménité de style du despotisme royal.

Les fats de Paris, qui accompagnaient aux états messieurs les gens du roi, racontaient que nous autres hobereaux nous faisions doubler nos poches de fer-blanc, afin de porter à nos femmes les fricassées de poulet de M. le commandant. On payait cher ces railleries. Un comte de Sabran était naguère resté sur la place, en échange de ses mauvais propos. Ce descendant des troubadours et des rois provençaux, grand comme un Suisse, se fit tuer par un petit chasse-lièvre du Morbihan, de la hauteur d’un Lapon[2].

  1. Lettre du 5 août 1671.
  2. La date de ce duel, resté légendaire en Bretagne, se place aux environs de 1735. Celui qui en fut le héros n’était pas « un