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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

madame Lucile, dans un hôtel garni de la rue de Richelieu, qu’une insurrection éclate : le peuple se porte à l’Abbaye, pour délivrer quelques gardes-françaises arrêtés par ordre de leurs chefs[1]. Les sous-officiers d’un régiment d’artillerie caserné aux Invalides se joignent au peuple. La défection commence dans l’armée.

La cour tantôt cédant, tantôt voulant résister, mélange d’entêtement et de faiblesse, de bravacherie et de peur, se laisse morguer par Mirabeau qui demande l’éloignement des troupes, et elle ne consent pas à les éloigner : elle accepte l’affront et n’en détruit pas la cause. À Paris, le bruit se répand qu’une armée arrive par l’égoût Montmartre, que des dragons vont forcer les barrières. On recommande de dépaver les rues, de monter les pavés au cinquième étage, pour les jeter sur les satellites du tyran : chacun se met à l’œuvre. Au milieu de ce brouillement, M. Necker reçoit l’ordre de se retirer. Le ministère changé se compose de MM. de Breteuil, de La Galaizière, du maréchal de Broglie, de La Vauguyon, de La Porte et de Foullon. Ils remplaçaient MM. de Montmorin, de La Luzerne, de Saint-Priest et de Nivernais.

Un poète breton, nouvellement débarqué, m’avait prié de le mener à Versailles. Il y a des gens qui visitent des jardins et des jets d’eau au milieu du renversement des empires : les barbouilleurs de papier ont surtout cette faculté de s’abstraire dans leur manie pendant les plus grands événements ; leur phrase ou leur strophe leur tient lieu de tout.

  1. L’insurrection pour délivrer les gardes-françaises emprisonnés à l’Abbaye éclata le 30 juin 1789.