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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sa servitude ; elle lui semblait élevée à l’entrée de Paris, en face des seize piliers de Montfaucon, comme le gibet de ses libertés.[1] En rasant une forteresse d’État, le peuple crut briser le joug militaire, et prit l’engagement tacite de remplacer l’armée qu’il licenciait : on sait quels prodiges enfanta le peuple devenu soldat.


Réveillé au bruit de la chute de la Bastille comme au bruit avant-coureur de la chute du trône, Versailles avait passé de la jactance à l’abattement. Le roi accourt à l’Assemblée nationale, prononce un discours dans le fauteuil même du président ; il annonce l’ordre donné aux troupes de s’éloigner, et retourne à son palais au milieu des bénédictions ; parades inutiles ! les partis ne croient point à la conversion des partis contraires : la liberté qui capitule, ou le pouvoir qui se dégrade, n’obtient point merci de ses ennemis.

Quatre-vingts députés partent de Versailles, pour annoncer la paix à la capitale ; illuminations. M. Bailly[2] est nommé maire de Paris, M. de La Fayette[3] commandant de la garde nationale : je n’ai connu le pauvre, mais respectable savant, que par ses malheurs. Les révolutions ont des hommes pour toutes leurs périodes ; les uns suivent ces révolutions jusqu’au

  1. Après cinquante-deux ans, on élève quinze bastilles pour opprimer cette liberté au nom de laquelle on a rasé la première Bastille. (Paris, note de 1841.) Ch.
  2. Jean-Sylvain Bailly (1736-1793). Garde des Tableaux du Roi, membre de l’Académie française et de l’Académie des sciences et de celle des inscriptions et belles-lettres, premier président de l’Assemblée nationale et premier maire de Paris.
  3. Marie-Paul-Joseph-Gilbert de Motier, marquis de La Fayette.