Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/390

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Miséricorde ! où me fourrer ? qui me délivrera ? qui m’arrachera à ces persécutions ? Revenez, beaux jours de ma misère et de ma solitude ! Ressuscitez, compagnons de mon exil ! Allons, mes vieux camarades du lit de camp et de la couche de paille, allons dans la campagne, dans le petit jardin d’une taverne dédaignée, boire sur un banc de bois une tasse de mauvais thé, en parlant de nos folles espérances et de notre ingrate patrie, en devisant de nos chagrins, en cherchant le moyen de nous assister les uns les autres, de secourir un de nos parents encore plus nécessiteux que nous.

Voilà ce que j’éprouve, ce que je me dis dans ces premiers jours de mon ambassade à Londres. Je n’échappe à la tristesse qui m’assiège sous mon toit qu’en me saturant d’une tristesse moins pesante dans le parc de Kensington. Lui, ce parc, n’est point changé ; les arbres seulement ont grandi ; toujours solitaire, les oiseaux y font leur nid en paix. Ce n’est plus même la mode de se rassembler dans ce lieu, comme au temps que la plus belle des Françaises, madame Récamier, y passait suivie de la foule. Du bord des pelouses désertes de Kensington, j’aime à voir courre, à travers Hyde-Park, les troupes de chevaux, les voitures des fashionables, parmi lesquelles figure mon tilbury vide, tandis que, redevenu gentillâtre émigré, je remonte l’allée où le confesseur banni disait autrefois son bréviaire.

    organisées par un comité de dames appartenant à la plus haute aristocratie et qui se montraient extrêmement difficiles sur le choix des invités. Être reçu aux bals d’Almack était considéré par les gens du monde fashionable comme la plus rare des distinctions, et la plus enviable.